Babylon, un film de Damien Chazelle
Magistral ! Géant ! Les mots deviennent insuffisants pour qualifier le dernier opus du réalisateur américain Damien Chazelle. En retraçant le drame qu’a constitué le passage du muet au parlant dans le cinéma des années 20 du siècle dernier, il met en scène une course à l’abime dans laquelle il y eut peu de survivants. Somptueux !
Los Angeles, après la fin du premier conflit mondial, n’est guère qu’une bourgade écrasée de soleil. C’est malgré tout là que se tournent ce qui allaient être les derniers films muets. Damien Chazelle nous fait découvrir ces plateaux en plein air avec une historicité qui en apprendra à plus d’un cinéphile d’aujourd’hui. Dans cet univers cartoonesque et artisanal, une jeune femme, Nellie, fait par hasard un remplacement de dernière minute. Sa première apparition devant une caméra. Son rêve. Et c’est le coup de foudre pour toute une profession. Nellie devient une vedette sous le regard enamouré de Manny, jeune homme n’aspirant, lui aussi, qu’à faire carrière dans le 7ème art. Pour l’heure il est l’homme à tout faire de Jack, une star bien installée dans le métier. C’est autour de ce trio aussi flamboyant que pathétique que s’articule ce film. Inspirés de personnages authentiques, ils nous donnent à comprendre le séisme que fit le passage du muet au parlant. De fabuleuses carrières comme seule l’Amérique sait en construire se sont effondrées du jour au lendemain. Nous connaissons la suite tragique. Pour l’heure, le réalisateur s’attache à nous peindre avec une virtuosité hallucinante l’atmosphère de l’Hollywood des temps primordiaux. Avec ses fêtes orgiaques, ses tournages souvent dangereux et ses compromis dont je vous laisse entendre la teneur. Si le film s’intitule Babylon, il y a certainement des raisons dont la moindre n’est pas la manière dont les Chrétiens nommaient la Babylone antique : La Grande Prostituée. Ici point de morale, mais la culture d’égos surdimensionnés et une soif inextinguible de réussite. Pour y parvenir, la référence à la Divine Comédie de Dante s’impose tant le dernier Cercle des Enfers est largement évoqué dans le scénario.
Âme sensible… Outre un réalisateur de génie à qui l’on doit entre autres longs La La Land , il fallait un casting au cordeau. En réunissant Brad Pitt, Jack aussi incroyable qu’émouvant, Margot Robbie, Nellie survoltée écrasant le film de sa présence, nous découvrons un inconnu, l’acteur mexicain Diego Calva. Il est le fil rouge de ce drame. Aussi efficace en grouillot des plateaux qu’en lunaire au cœur de ce maelström, son Manny est le témoin de toutes les turpitudes du moment : raciales, sexuelles, arrivistes et autres joyeusetés que je vous laisse le soin de découvrir. Ajoutons à tout cela une BO brillantissime et voilà certainement un film qui va marquer non seulement 2023 mais à coup sûr l’histoire du cinéma.