Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Le Salon de musique de Satyajit Ray
Reconnu dès Pather Panchali, premier volet de ce que l’on nommera « la trilogie d’Apu », Satyajit Ray réalisa en 1958 avec Le Salon de musique son œuvre la plus emblématique. Le cinéaste indien retrace ici la grandeur et la déchéance d’un zamindar – membre de l’aristocratie issue de la noblesse terrienne du Bengale – passionné de musique. Ce riche oisif, vaguement méprisant, reçoit ses obligés dans le grand salon de son palais où il aime organiser concerts et spectacles de danse. Les domestiques s’affairent. Des fêtes aussi somptueuses que dispendieuses rythment l’existence de cet homme contemplant dans de gigantesques miroirs sa propre image. Les feux d’artifice illuminent la nuit. Rien n’est trop beau non plus pour son fils chéri qui aime les chevaux.
Même la vue de la clinquante maison moderne de son voisin, un bourgeois et nouveau riche multipliant les signes d’allégeance, ne suffit à perturber son bonheur. Cependant, une tragédie va rendre tout ce faste dérisoire sans empêcher le héros de dilapider ce qui lui reste de fortune dans un dernier concert.
Fin d’un monde
Le Salon de musique marie une approche parfois quasi documentaire (les scènes de danse et de concerts) à une subtilité très littéraire. Le noir et blanc extrêmement contrasté confère aux images une beauté picturale. Les séquences musicales s’insèrent avec naturel dans un récit maîtrisant l’art de l’ellipse sans négliger une dimension contemplative. L’extraordinaire composition des plans, le sens du cadrage, la fluidité des mouvements de caméra constituent une leçon de mise en scène.
Quelques années avant Le Guépard de Visconti, Satyajit Ray filme lui aussi la fin d’un monde et une passation de pouvoir. Même au Bengale, la lutte des classes – pardon, des castes – fait son œuvre. Tout cela est montré avec finesse et une dose de mélancolie. Le visage du maître ressemble peu à peu à un masque mortuaire. Les sitars et les percussions prennent des airs de requiem. Un dernier concert ensorcelant donne l’illusion de renouer avec la splendeur passée, mais les bougies vont s’éteindre, les lampions aussi. Le noir gagne l’écran. La fête est finie.
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