CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. TCHAÏKOVKI. LISZT.
ALEXANDRE KANTOROW SUPER-HEROS A LA ROQUE
Jeune, fringant et courageux Alexandre Kantorow a ce soir subjugué le public en interprétant d’affilée sans ciller deux concertos hyper virtuoses. Son partenaire le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ne l’a pas ménagé. Dès la première intervention de l’orchestre fortissimo, le ton était donné. Le deuxième concerto de Tchaïkovski n’est pas le plus réussi et ne sonne pas vraiment comme du Tchaïkovski et ce soir moins que jamais. Disons-le clairement le côté « pompier » et tonitruant de cet orchestre n’était pas de nature à déranger un Alexandre Kantorow aux moyens souverains, mais cela a nui à sa recherche constante de musicalité. Ce concerto est celui avec lequel le tout jeune Alexandre a remporté le concours Tchaïkovski. Il en maîtrise absolument toutes les difficultés et arrive à nuancer de fort belle manière dès qu’il en la possibilité. Les échanges avec la flûte solo dans le premier mouvement, les échanges avec le violon et le violoncelle en solo dans le deuxième mouvement sont des oasis de beauté et de délicatesse. Le reste du temps le combat entre l’orchestre et le chef ne laisse aucun vainqueur et peut sembler vain à des oreilles délicates. Les traits de Kantorow peuvent être fulgurants, les battues d’une puissance athlétique et la liberté dans les moments rhapsodiques caractérisent son jeu de super héros qui ne lâche rien.
Aziz Shokhakimov jeune chef de 34 ans demande toute sa force au Sinfonia Varsovia et l’obtient dans des tutti supersoniques. Nous avions découvert Alexandre Kantorow dans ce concerto à Toulouse dirigé par un chef bien plus convaincant avec un résultat tout différent. Car ce soir hélas l’ensemble sonne au final « assez pompier ». Après une infime pause Alexandre Kantorow avec un panache souverain s’engage dans le deuxième concerto de Liszt qui heureusement sera bien plus nuancé du côté de l’orchestre. Le prodigieux jeune homme se permet des nuances subtiles et des phrasés chantants tout en habillant les plus terribles traits de toute la grâce possible. Les moyens techniques d’Alexandre Kantorow semblent infinis. Tout lui semble facile et pourtant quelle folie contenue dans ce concerto ! Les moments chambristes du concerto sont joués avec une gourmandise adorable par le pianiste. On devine un vrai amour pour le dialogue musical.
Aziz Shokhakimov garde en général une attention particulière au brillant et à la puissance qu’il obtient de l’orchestre mais arrive à ménager des moments de détente dans lesquels la musique peut s’épanouir plus sereinement. En comparant avec son enregistrement de 2015 réalisé par le tout jeune Alexandre dans lequel son père dirige subtilement le Tapiola Sinfonietta, l’équilibre orchestre-piano y est plus naturel et le dialogue bien plus musical. Notons toutefois que le jeune pianiste a gagné une force et une aisance remarquables. Cette version a quelque chose de sauvage et d’indomptable. Indiscutablement peu de si jeunes pianistes sont capables de venir à bout de deux concertos si virtuoses et Alexandre Kantorow est probablement le plus intéressant du moment. Est-ce vraiment ce que nous pouvons demander de mieux à ce musicien exceptionnel ? La réponse il la donne dans son premier bis. En rendant hommage à Nelson Freire, dont c’était le bis favori, il offre au public une interprétation bouleversante des ombres heureuses de l’Orphée de Gluck, mélodie arrangée pour le piano par Sgambati. Hommage à Nelson Freire avec encore davantage de tendresse si c’est possible ! Puis un Sonnet de Pétrarque offert comme un véritable opéra chanté, avec un chant éperdu comme suspendu. Le final de l’oiseau de feu sera brillant mais moins réussi que d’autre fois. C’est dans ces trois bis que le talent le plus rare d’Alexandre Kantorow se révèle, de l’avis d’aucuns il est à lui tout seul un orchestre. Alexandre Kantorow a fini ravi et comme régénéré par la force du partage musical, ce concert marathonien avec sprint final, dans une chaleur particulièrement étouffante. Il a assurément tout donné à son public ! Un héros vous dis-je !
France Musique était là pour garder mémoire de ce concert donné à guichet fermé ce soir à la Roque. Il est possible de le réécouter durant les six prochains mois.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Auditorium du Parc. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz Shokhakimov. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en sol majeur Op.44 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en la majeur. Photo : © Valentine Chauvin.
Critique écrite pour Classiquenews.com