Chronique concert sans public. Toulouse. Halle-aux-Grains, le samedi 30 Janvier 2021. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon et orchestre n°2 en mi mineur, op.64 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°5 en do diese mineur. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Daniel Lozakovich, violon ; Kahchun Wong, direction.
Un concert lumineux dans le noir sinistre du quotidien
Happy few sont les journalistes qui peuvent assister dans la Halle-aux-Grains aux concerts donnés en huis clos ! Un peu comme dans une maison close, un lieu confisqué au public juste entrouvert pour un soir de temps en temps …. Savourer ce qui est perdu mais reviendra ….
Car le malaise sous la joie n’est pas loin. Surtout au moment des applaudissements. Quels tristes claps quand une ovation tonitruante ne serait pas déméritée. Et juste quelques collègues pour échanger son bonheur. C’est pingre, cela fait retomber de haut, quitter une si belle lumière en rentrant dans l’inhumain vide de Toulouse la nuit. Qu’elle est étrange notre vie de l’Année 01 du Covid ! Il nous appartient de ne pas oublier, de témoigner que la vie culturelle continue en sous-marin. Les artistes de l’Orchestre du Capitole ont une chance, celle de travailler et de jouer gardant leur passion intacte. A un rythme bien moins élevé mais tout de même ce soir le concert est grandiose. Le programme les met en vedette. La puissance de ces musiciens est considérable car les deux œuvres sont très exigeantes à des degrés divers.
Le deuxième concerto pour violon de Mendelssohn est un bijou de finesse, d’élégance et de beauté hiératique. Jamais aucune brutalité ne vient gâcher la joie du jeu musical. Le violon plane haut et touche au cœur. L’orchestre doit être présent sans écraser jamais la voix du soliste, sans brutalité jamais. Ce chant planant sur le cœur battant des cordes de l’orchestre est un début magique inoubliable. Le public est toujours très sensible à cette douce mélancolie et les violonistes se régalent des volutes et courbes envoûtantes que Mendelssohn a écrit pour leur instrument. Il y a quelque chose d’une grâce céleste dans ce chef d’œuvre. Daniel Lozakovich est à 20 ans l’incarnation idéale de cette grâce. La dernière fois que nous l’avions vu à Toulouse il avait encore quelque chose de la beauté de l’enfant prodige, ce soir c’est la puissance naissante du jeune homme qui séduit. Avec cette délicatesse de phrasé, cette élégance du geste souverain et cet engagement de tout son être dans son jeu. Son interprétation est toute faite de lumière, de facilité apparente et de musicalité délicieuse. La puissance du jeu est parfaitement assumée et maitrisée. Il a une sonorité riche et pleine mais la texture reste légère et jamais la moindre dureté ne se devine.
Ce violon comme aérien est pourtant charnellement habité. Une sorte d’impossible alliage. L’or de ce violon comme adouci par la texture d’un velours profond. Le jeu est lumineux mais également contrasté et nuancé. L’orchestre le soutient magnifiquement dans des couleurs d’une rare intensité. Les instruments dialoguent avec art. Le chef laisse jouer et cherche un soutien franc pour permettre au soliste de planer haut. J’aurais aimé qu’il aille plus loin et réponde aux propositions du soliste si enclin à nuancer en profondeur, en demandant encore plus de douceur à l’orchestre. Les musiciens de l’orchestre le peuvent. C’est un peu dommage cette sage mise en place à côté du feu ardent du soliste, au jeu si inspiré. La beauté de Daniel Lozakovich est bien filmée et vous pourrez succomber au charme de ce jeune homme qui joue si admirablement de son violon. Il offre une interprétation idéale de ce concerto de Mendelssohn.
La 5ème symphonie de Mahler est un chef d’œuvre de grande modernité toute en expérimentations audacieuses.. Elle offre à un bel orchestre symphonique l’occasion de briller en terme de nombreux soli mais également une virtuosité d’ensemble à la difficulté incroyable. Le scherzo est si compliqué à mettre en place dans le tempo exact !
Dès le début le solo de trompette est absolument envoûtant. Hugo Blacher est magnifique et tout au long du concert reste d’une solidité et d’une élégance rares. La direction de Kahchun Wong qui nous avait parue trop précautionneuse dans le concerto se détend un peu. La gestuelle du chef est très appuyée, il y a prépondérance de sa main droite qui tient la baguette. La main gauche est moins investie. Cette attitude donne un coté prudent comme pour privilégier la mise en place. Le risque n’est pas autorisé et l’interprétation garde de cette maitrise constante une certaine rigidité. La qualité du chef est la grande clarté du discours jusque dans les moments les plus complexes. La brillance des sonorités est magnifiquement rendue. Mais dans la marche funèbre cette lumière et cette puissance manquent de contrastes. Les nuances si fondamentales dans cette musique sont présentes, comme a minima, elles auraient pu être plus approfondies. Le premier tutti est déjà très fort, la marge de manœuvre s’en trouve réduite. La lumière crue dans le premier mouvement pourtant si complexe a tendance à le compacter dans le fort et le brillant. C’est très efficace mais un peu monolithique. Le scherzo est réussi à la perfection. Les qualités de la direction de Kahchun Wong sont précieuses, un tel mouvement virtuose. La précision, le parfait ordonnancement des plans, les couleurs si complexes de ce mouvement comme un kaléidoscope enivrant, tout est parfaitement rendu. La virtuosité des musiciens de l’orchestre est un régal. Le cor de Jacques Delelancque, qui se tient debout comme un soliste, est majestueux et noble. Cette véritable horlogerie infernale est parfaitement organisée et l’effet est saisissant, la virtuosité individuelle, comme celle de l’ensemble est confondante. Quel mouvement incroyablement inventif !
Le sensuel Adagietto est de toute beauté mais trop sage à notre goût et pas assez nuancé. Ce clair de pleine lune éblouit mais ne touche pas l’âme comme il est possible.
Le final qui reprend tant de thèmes et fuse vers le bonheur est mené d’une main de maître par Kahchun Wong. Sa direction est enthousiasmante, il laisse sonner l’orchestre dans sa majesté et toute sa puissance (quels cuivres !). Il offre une interprétation brillante et joyeuse sans arrières pensées. Le bonheur d’être là et de partager la joie de cette musique est total. C’est à la fin que les applaudissements ont terriblement manqué ; devant tant de splendeur sonore comment ne pas exulter ? C’est peut-être là que le sous-texte anxieux et dépressif de Mahler, absent de l’interprétation ce soir, sur le chemin du retour nous rattrape. Toulouse transformée en ville fantomatique et triste à la nuit tombée….
Le nombre de spectateurs devant leur écran peut consoler un peu de l’absence de public et les progrès de la diffusion sont notables. Le film est vraiment agréable, surtout dans les gros plans des musiciens. N’hésitez pas à le regarder, notre orchestre est en pleine forme et quand nous le retrouverons tous, il sera encore plus resplendissant car la chaleur du public lui manque. Elle lui permettra de reluire encore davantage.
Orchestre National du Capîtole