Comme un rêve au milieu d’un terrible cauchemar.
Thierry d’Argoubet, responsable de la programmation de l’orchestre, ne pouvait mieux choisir pour le dernier concert de la saison de l’orchestre avant l’été. Le confinement nous a privé de très nombreux concerts, je n’y reviendrai pas, le vide a été énorme. Ainsi la réouverture de la Halle-aux-Grains au public avait déjà été un rêve en soi. Nous avons dit combien le concert de retrouvaille avec l’orchestre et Tugan Sokhiev avait été un vrai bonheur. (Voir notre chronique précédente). Mais ces concerti de Bach pour deux, trois et quatre claviers sont un vrai bonheur à eux seuls. Cette musique dansante, charmante, charpentée et aérienne est un miracle de perfection. La manière dont les pianos ont su s’approprier ses partitions écrites pour le clavecin tient de la fête. Chaque fois qu’il est possible de les entendre c’est un moment de musique inoubliable.
Ce soir le propos est encore plus éclatant, véritable manifeste pour la vie. Nos quatre amis pianistes ont tous été confinés et c’est leur premier concert avec du public depuis cette triste période. Quatre mois sans jouer en public ! Il est facile d’imaginer la joie de jouer ces partitions et ensemble ! Le bonheur était évident, et l’orchestre de cordes issu du Capitole également semblait heureux de participer à cette fête. Ensemble tous les musiciens nous ont donné une interprétation toute de fine musicalité, de phrasés élégants, de nuances subtiles et de doigts légers. Un piano « tout simple » qui sans effets inutiles donne vie à la danse heureuse contenue dans ces partitions ; les mouvements lents tout empreins de tendresse et de retenue sont des moments précieux. Jacques Rouvier le professeur des trois autres pianistes est celui qui semble le plus amusé par la situation et la déguste avec une sorte de gourmandise. Emmanuel Christien et Audray Vigouroux sont plus concentrés mais le sourire aux lèvres est présent avec un jeu toujours expressif. Quand à David Fray son jeu est très habité, le jeune musicien semble traversé par une urgence. Ses gestes de direction sont plutôt des relances et des encouragements mais on devine bien qu’il cherche à garder tous en lien et qu’il porte le projet. Les cordes sont très présentes avec beaucoup de légèreté et de précision. Le moindre pizzicato est plein d’intention. Nous avons eu un beau concert de partage et d’écoute mutuelle, de recherche de légèreté et d’élégance dans ce monde meurtri par la peur : nous ne pouvions rêver d’avantage. C’est exactement ce qu’il nous fallait : la musique du bonheur retrouvé et surtout partagé. Le public (toujours masqué et un peu plus nombreux) a exulté et a obtenu deux bis : les deux mouvements extrêmes du concerto à 4 pianos ; celui que Bach a adapté d’après Vivaldi à l’origine pour quatre violons.
Et nous pouvons retrouver ces musiciens attachants dans ce beau programme avec leur CD qui reste l’un des plus stimulants que je connaisse.
Compte rendu Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 2 Juillet 2020. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour quatre pianos en la mineur BWV1065 ; Concerto pour trois pianos en ré mineur BWV 1063 ; Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV 1061 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur BBV 1060 ; David Fray, Jacques Rouvier, Emmanuel Christien, Audray Vigouroux : piano ; Cordes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, direction.
PS : Le titre m’a été inspiré par David Fray dans ses remerciements après le concert.