Compte-rendu Coffret de CD. Sergiu CELIBIDACHE (1912-1996) : The Munich Years. Enregistrements Live de 1979 à 1996 sauf CD 49 de 1948.Enregistrements Stéréo sauf CD 49. Coffret Warner Classics 019029558154.Compilation de 2018. Münchner Philharmoniker, solistes nombreux. Sergiu Celibidache, direction.
CELIBIDACHE le musicien philosophe irremplaçable !
Ce coffret est un véritable événement pour plusieurs raisons.
Le chef roumain Sergiu Celibidache est rarissime au disque. De son fait principalement car il a toujours refusé d’enregistrer alors que les majors vivaient leur époque la plus florissante. En effet seule la musique en concert l’intéressait. Pour lui la musique n’existait que dans l’instant de sa création, en fonction du lieu, des musiciens et du public présent. Heureusement après une période nomade des plus riches mais sans témoignages enregistrés officiellement, en dehors des concerts radiodiffusés, il a su s’attacher à l’orchestre Philharmonique de Munich : le Münchner Philharmoniker. En collaboration avec la Radio bavaroise tous les concerts , ou presque, ont été enregistrés de 1979 à 1996. Sage philosophe pratiquent le Zen, le respect était au centre de l’éthique du chef. Ainsi durant les 17 ans de leur collaboration l’humanité de leurs échanges et la rigueur du travail toujours approfondi et les longes répétitions partagées ont offert au public munichois des concerts inoubliables. Le leg a été validé par les héritiers et ce coffret très soigneusement organisé et présenté avec soin est ainsi offert à la postérité.
Au travers du parcours d’écoute de ce fascinant coffret, au delà de la caricature des tempi lents, une sorte d’évidence s’impose. Il y a quelque chose d’organique, voir d’océanique dans la direction de Celibidache. Très régulièrement des vagues se lèvent du fond de l’orchestre et toujours respirent amplement. La relative lenteur permet une écoute comme libérée d’une urgence hystérique qu’une certaine tradition héritée de Karajan par exemple valorise. Ici c’est la direction de la musique, le parcours qu’elle prend, l’endroit ou elle va, qui guident notre oreille, avec des phrasés amples et généreux et ainsi nait une écoute renouvelée. Mais l’humour n’est pas absent, ainsi l’ouverture de la Chauve Souris pour nous en persuader, avec son basson goguenard… et son rubato…
Une autre constance est la perfection des sonorités et des nuances qu’il obtient de son orchestre. Le Münchner Philharmoniker était déjà merveilleux lorsqu’il en a pris la tête mais qui il ne va cesser de progresser au point de devenir l’un des tous meilleurs du monde. Mais sans cette sorte de couleur ripolinée des grands orchestres enregistrés, ou ces nuances gonflées par les techniciens. Tous les concerts enregistrés ici sont fascinants, parfois inoubliables, nous en détaillerons certains. Le naturel qui diffuse à l’écoute est très particulier. la respiration de la direction rencontre l’air libre de la prise de son. Le répertoire est centré par la musique symphonique germanique, car c’est l’ ici et maintenant du chef munichois. Tout Bruckner mais également tous les extraits symphoniques de Wagner avec un sens du phrasé, des nuances et des silences absolument prodigieux. De son passage à l’Orchestre National de France il reste Ravel, Debussy, Roussel et Milhaud dans des interprétations incroyablement belles. Les compositeurs Russes sont aussi explorés avec bonheur. ainsi Tchaikovski avec émotion, fermeté et sans pathos excessif, Chostakovitch moderne et hyper coloré. Mais le coeur du corpus est donc germanique avec une admiration au père fondateur Beethoven. Ce sont les symphonies de Bruckner qui sont la spécialité de Celibidache là ou sa musicalité et sa philosophie se rencontrent au point d’offrir des interprétation quasi hypnotiques. Emi avait déjà diffusé certaines symphonies. Elle sont toutes dans ce coffret sauf les deux premières. Avec la 3 ème Messe de Bruckner et son Te Deum nous tenons là, la première raison qui fait de ce coffret un absolu. Impossible de ne pas écouter ces concerts historiques. Mais d’autres moments inoubliables nous attendent. Les classiques Mozart et Haydn sont interprétés avec un grand sérieux et une pondération mettant particulièrement en lumière la perfection formelle. Beethoven est magnifié rythmiquement et nuancé avec art. Nous préférons les 3,5,6 et 9. Les trois Symphonies de Schumann sont admirables. Brahms avec majesté et une splendeur formelle est phrasé avec magnificence. Schubert est aussi splendidement romantique. Le Scheherazade de Rimsky-Korsakov donne toute ses lettres de noblesses et un final cosmique inouï à une partition trop souvent galvaudée dans ses effets faciles. Le répertoire choral est abordé avec respect et majesté. Si la messe en si de Bach est discutable son credo nous entraine entre terre et cosmos, et il ne peut laisser indifférent. Le Requiem de Verdi est fascinant par certains partis pris, le Requiem de Mozart surnaturel, avec des découvertes dans l’orchestration tout à fait prodigieuses, mais c’est le Requiem de Brahms qui atteint des sommets avec une Margaret Price idéale. Le Requiem de Fauré convainc par une inhabituelle grandeur et aucune autre soprano que Margaret Price ne pouvait habiter jusqu’au fond les immenses phrases du tempo large du Pie Jesu. Son souffle immense, la richesse de son timbre et les nuances incroyables font de ce moment soliste du Requiem de Faure un des moments de grâce absolue de la musique. Il n’est pas possible de détailler d’avantage un tel coffret, je pense que les amateurs de musique seront sensibles à cette vision si noble du chef Roumain, qui au delà des modes a su diffuser sa pensée musicale à des sommets géniaux qui sont très nombreux dans ce magnifique coffret. La prise de son est très naturelle, une très belle stéréo aérée. Le public, un peu enrhumé parfois, est très chaleureux dans les applaudissements laissés comme pour rappeler que ce sont avant tout des concerts et non des enregistrements. Celi,c’est le surnom donné au chef par certains musiciens et ses intimes, reste présent avec sa spiritualité profonde pour l’éternité grâce à ce coffret dont la dimension historique est incontestable et fascinante.
Enfin un large public pourra apprécier tout ce que ce chef si singulier a apporté à la musique en concert.