Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
Bound d’Andy et Larry Wachowski
Ce petit film noir sorti en France en novembre 1996 passa inaperçu et n’attira l’attention sur lui que deux ans plus tard lorsque ses réalisateurs, Andy et Larry Wachowski, signèrent l’étonnant Matrix qui sera suivi de deux autres volets toujours moins convaincants. Si la trilogie ponctuée de nombreux emprunts (notamment au cinéma de Hong Kong) fut un succès planétaire, elle ne possède pas la fraîcheur artisanale de ce Bound qui, loin des effets numériques et autres bidouillages technologiques, repose avant tout sur la rigueur d’un scénario et les compositions des comédiens. Et les films suivants (Speed Racer, Cloud Atlas, Jupiter : Le Destin de l’univers), toujours plus ampoulés, achevèrent de nous convaincre que les « frères Wachowski » (si l’on peut dire puisque Larry devint Lana entre-temps) avaient donné le meilleur d’eux-mêmes dès leur premier long-métrage. Avant de passer à la réalisation, Andy et Larry signèrent le scénario d’Assassins qui fût porté à l’écran pour la Warner par le vieux briscard Richard Donner avec Sylvester Stallone et Antonio Banderas à l’affiche. Ce coup d’essai leur permit, non sans difficultés, de mettre en scène eux-mêmes un autre scénario de leur cru grâce à l’entrée en lice du mythique producteur Dino De Laurentiis. Car, tout en respectant les codes du film noir (avec le triangle la femme / l’amant / le mari et la machination des deux premiers afin d’éliminer le troisième et de mettre la main sur son magot), Bound présentait une originalité de taille : ici, l’amant était une femme…
Voici donc Violet, pulpeuse brune (Jennifer Tilly) partageant la vie d’un truand spécialisé dans le blanchiment d’argent pour la mafia, qui a un coup de foudre pour Corky (Gina Gershon), la jeune femme qui repeint et retape l’appartement voisin. Avec son look de garçonne et ses débardeurs de camionneur, Corky ne cache pas ses penchants ni son passé de taularde, mais c’est Violet qui va trouver les arguments pour une proposition que l’on ne peut pas refuser : rafler les deux millions de dollars que son compagnon doit remettre à ses patrons et partir ensemble… Bien que se déroulant essentiellement dans deux appartements mitoyens, Bound ne souffre pas des tics du théâtre filmé et se libère des contingences du décor par la caméra virtuose de Bill Pope, chef opérateur de Sam Raimi que les Wachowski emploieront à nouveau pour leur trilogie Matrix. Évidemment, comme dans tout film noir qui se respecte, le plan simple et imparable conçu par les deux bougresses va se heurter à quelques imprévus et à de multiples renversements de situation. Au-delà de l’habileté du scénario, c’est sur le trio de comédiens que repose la réussite de Bound. Joe Pantoliano excelle en petite frappe macho sous l’emprise d’un charismatique parrain, Jennifer Tilly campe une sorte de Betty Boop ayant attendu trop longtemps son prince charmant au point de s’accommoder d’une princesse tandis que Gina Gershon impose sa sensualité doucement virile qui ne déparerait pas chez David Lynch. Bizarrement, ces trois comédiens sont restés relativement sous-employés par Hollywood, cantonnés trop souvent à des seconds rôles ou à des séries télévisées. Les rapports maître / esclave ne sont pas absents de ce drame criminel, mais ce sont les personnages ayant compris qu’une part de servitude acceptée et réciproque leur octroierait la vraie liberté qui s’en tireront… Cela pourrait être la morale de ce jubilatoire suspense qui s’empare avec audace des codes du genre pour mieux les pervertir.