Disparue de l’affiche depuis 1973, date de son entrée au Capitole avec Michel Plasson, c’est l’une des œuvres lyriques les moins jouées de Serge Prokofiev. Elle refait surface au Théâtre du Capitole pour la saison 2010/11 et c’est donc une reprise de cette production avec une nouvelle distribution. Après Massacre donné en avril, ce sera une séance de relaxation digne du meilleur spa des thermes de Baden-Baden. Parodie et dérision rythment cet opéra qui constitue un éclat de rire bien étrange quand on songe à côté, à la noirceur de l’Ange de feu, à la grandiloquence de Guerre et Paix, ou encore à la féerie de l’Amour des trois oranges, ou à l’héroïsme de la nouvelle Je suis le fils d’un peuple laborieux lui inspirant Siméon Kotko.
Dans le genre opéra, on le sait, le rire est moins fréquent que la tragédie ! C’est pourtant bien du rire qu’il s’agit ici avec ces étourdissantes Fiançailles au couvent, une des œuvres les plus joyeuses de tout le répertoire, mais toute empreinte de lyrisme, et sans nul doute la parenthèse la plus burlesque dans les compositions de Prokofiev. Son autre titre est La Duègne car le livret est tiré d’un authentique “mask“ intitulé The Duenna écrit par l’auteur dramatique anglais Richard Sheridan, souvent rapproché de Beaumarchais. Elle met en scène une journée pour le moins aussi folle que celle du Mariage de Figaro, fertile en intrigues, imbroglios et déguisements.
Elle constitue un dérivatif salutaire aux ouvrages les plus récents de Prokofiev, ouvrages “sérieux“ répondant aux exigences patriotiques de la réalité soviétique du moment : nous étions en 1939. Et si la création devait avoir lieu à Moscou en 1941, les tragiques événements feront qu’elle n’aura lieu qu’en 1946, à Leningrad, dans une ville ravagée.
Ici, et pour la première et unique fois, Prokofiev investit l’opéra-bouffe dans la plus pure tradition du genre, sans autre prétention que la mise en scène d’un univers loufoque et absurde. Très fidèle à l’écriture de la pièce, il peut mettre en musique de courtes pièces : sérénades, ariettes, duos, quatuors, ensembles vocaux. La caractérisation musicale des personnages est particulièrement convaincante, quelques mesures suffisant pour nous les peindre en chair et en os. Mais, si l’on observe le contexte de la composition, il est tout de même surprenant de constater que le sujet de l’opéra, léger et frivole, contraste de façon aussi saisissante avec les troubles politiques qui ont lieu au même moment.
Nous sommes à Séville au XVIIIè siècle. Vous suivrez les surtitres, si nécessaires, afin de découvrir les subtilités du livret. Dans la nouvelle distribution vocale, on retrouve quelques noms de la précédente comme Anastasia Kalagina dans Louisa, ou Garry Magee dans Don Ferdinand. Nombreux rôles, relativement, d’où un travail d’attribution très recherché du compositeur : « Toute la palette du chant romantique est convoquée à ce grand rendez-vous mêlant astucieusement déclamation chantée et parlée mais aussi élans lyriques dignes du meilleur que nous ait transmis le XIXè siècle ! » Robert Penavayre.
Menant le tout, le chef Tugan Sokhiev, grand “patron“ de l’ONCT jusqu’en 2019 au moins, et maintenant Directeur musical du Théâtre du Bolchoï de Moscou, le pendant du Mariinsky de Saint-Pétersbourg. N’oublions pas qu’il fut révélé en 2004 par toutes les qualités de sa direction de L’Amour des trois oranges de ce même Prokofiev au Festival d’Aix-en-Provence. Vous trouverez dans l’article de notre éminent collaborateur Jérôme Gac, « Nonne mais pas trop », quelques réflexions du chef sur cet opéra et son auteur. Remarquons que l’effectif orchestral est très intéressant car sont présents des instruments que l’on entend rarement dans une fosse d’orchestre comme, la clarinette basse, le contrebasson, le tuba, un éventail de petites percussions, mais surtout des instruments qui interviennent sur scène et coulisse.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – du 15 au 24 mai.
photos » Les Fiançailles au couvent » © Patrice Nin