Tugan Sokhiev poursuit son travail d’exploration des symphonies de Mahler avec la Troisième, la plus longue, une partition monumentale, avec voix de contralto, celle de Anna Larsson, une habituée du O Mensch, et chœurs, ceux de l’Orfeon Donostiarra menés par leur chef José Antonio Sainz Alfaro. Le Directeur musical dirige son orchestre toulousain, l’Orchestre National du Capitole.
En six mouvements très inégaux, ou plutôt une Partie I avec le premier mouvement d’une demi-heure, puis la Partie II réunissant les cinq autres, la symphonie dure près d’une heure et demie, autant dire, une performance pour tous. Au milieu de l’œuvre, il faut gérer l’entrée de la soliste et celle du chœur, les deux devant imposer leur présence et fusionner avec l’interprétation orchestrale. C’est une des créations “mahlériennes“ les plus, imposantes, ambitieuses et démesurées. Sorte de préfiguration du Sacre du Printemps, qui observe la nature dans son cycle vital, naissance et mort, c’est une alliance de sublime et de naïveté, très difficile à rendre sur le plan orchestral.
Une lettre à sa maîtresse du moment, la cantatrice Anna von Mildenburg nous éclaire sur l’état d’esprit du compositeur : « Ma Symphonie sera quelque chose que le monde n’a encore jamais entendu ! Toute la nature y trouve une voix pour narrer quelque chose de profondément mystérieux, quelque chose que l’on ne pressent peut-être qu’en rêve ! je te le dis, certains passages m’effraient presque . Il m’arrive de me demander si réellement cela devait être écrit. »
Dans cette Troisième surtout, comme dans les autres symphonies du compositeur, on note l’omniprésence de la nature qui semble faire de lui une sorte de prophète des préoccupations écologiques actuelles. Valery Gergiev dira même : « Les descriptions de la Nature que l’on trouve dans ses symphonies lui causaient de terribles souffrances, comme s’il avait l’impression que la Nature était en train de mourir, étouffée par l’Humanité. Il y a trente ans, nous n’avions pas conscience des dangers encourus par la Terre à cause de nous. (…) Mahler est l’un de ceux qui ont prédit ces catastrophes. Nous avons besoin de lui plus que jamais.»
En dépit de toutes ses angoisses, Mahler, qui a une certaine estime de lui-même, plutôt élevée, demeure convaincu d’ailleurs que « le monde prendra un jour bonne note de tout cela », tout en sachant bien que «les hommes auront besoin d’un certain temps pour croquer ces noix que j’ai fait (dixit) tomber pour eux.»
Autre citation utile de Bruno Walter, celui qui fut le tout jeune assistant de Mahler à l’Opéra de Hambourg, le premier, invité par le compositeur à entendre sur le propre piano du maître, les premières mesures de la partition de la Troisième, sur le lieu de vacances, de retraite et de composition à la fois de Mahler. Il a tout juste vingt ans. Nous sommes en juillet 1896 : « Dans la Troisième symphonie, la nature elle-même semble s’être transformée en sons. Cette symphonie est la seule dans laquelle les mouvements suivent une séquence d’idées bien déterminées (…). Ici, la nuit parle de l’Homme, les cloches du matin parlent des anges et l’amour parle de Dieu – il est donc aisé de voir l’unité structurelle fondamentale de cette symphonie. C’est pour cette raison même que cette Mahler pouvait se dispenser des titres qu’il supprimera donc, comme on ôte les échafaudages une fois la maison terminée. Il voulait que l’œuvre soit considérée comme de la musique pure… Ce qu’elle nous communique par-dessus tout, c’est un regard heureux sur la vie et sur l’univers. »
- Vigoureux. Déterminé. « Ce n’est presque plus de la musique, ce ne sont pratiquement que les sons de la nature. », s’étonnait lui-même Gustav Mahler devant la tournure insolite prise par le premier mouvement, mouvement épique de plus de trente minutes, évoquant les débuts balbutiants de la Création, le chaos primitif s’organisant au-dessus des éboulements et des écroulements sonores, à grand renfort de fanfares de cuivres, de martèlements lugubres de timbales, de hallalis de cors.
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Pour se plonger dans une écoute plus… “excitante“ encore de la Troisième, n’hésitez pas à vous plonger dans une lecture très attentive de l’analyse faite par Gil Pressnitzer sur son site Esprits Nomades, justement sur cette symphonie.
Au vu des exigences de l’œuvre, c’est une chance d’en profiter en concert. Plus de cent trente CD ou coffrets de vinyle, pour la plupart indisponibles, peuvent vous en donner une idée. La grande majorité correspond à des enregistrements live. Le mieux, c’est donc d’être à la Halle aux Grains le 28 juin. Si aucun événement ne vient contrarier la soirée.
Michel Grialou
A noter : le concert sera diffusé dans son intégralité sur Arte Concert
Orchestre National du Capitole
Tugan Sokhievn direction
samedi 28 juin à 20h00 – Halle aux Grains
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