La Halle aux Grains toulousaine s’ouvre au monde ! Voici enfin captées quelques-unes des grandes réussites musicales de l’Orchestre national du Capitole, dirigé par Tugan Sokhiev. Le présent DVD réunit trois œuvres interprétées en public au cours de la saison 2015-2016 de la phalange toulousaine.
Le 4 mars 2016, l’orchestre invitait le grand violoniste israélien Vadim Gluzman comme soliste du concerto de Beethoven. L’orchestre s’investissait ce même soir dans le ballet fantastique de Béla Bartók, Le Prince de Bois. Le 2 juillet de la même année, la Symphonie n° 1 de Brahms était inscrite au programme. Cette exécution complète ce généreux DVD.
La captation vidéo et l’enregistrement de ces trois œuvres majeures sont réalisés par Pierre Loisil, un habitué des interventions audiovisuelles dans ce lieu mythique de la musique. Ils sont soutenus par l’association AIDA qui aide au rayonnement international de l’ONCT. Cette production est une belle réussite. Outre la qualité sonore de l’enregistrement, la vision que choisit le réalisateur favorise les visages, les attitudes des musiciens et du chef ainsi que la mobilité liée à la structure musicale de chaque partition. Les habitués de ces concerts n’auront aucune peine à reconnaître les membres de cette belle formation symphonique.
La belle entente musicale et expressive qui lie Vadim Gluzman et Tugan Sokhiev confère au Concerto en ré majeur de Beethoven une intensité expressive remarquable.
Vadim Gluzman anime l’Allegro ma non troppo initial, pris dans un tempo retenu, avec une profondeur, un sens du clair-obscur, du dialogue avec un orchestre qui joue son rôle de partenaire d’égal à égal. Lorsque vient le moment attendu de la cadence, la surprise est au rendez-vous. En lieu et place de l’habituelle partition de Fritz Kreisler, la plus souvent jouée, Vadim Gluzman se lance dans l’exécution de la cadence composée par Alfred Schnittke pour son ami Gidon Kremer. L’esprit, l’intelligence avec laquelle Schnittke agence des motifs reconnaissables, beethovéniens mais pas seulement, l’appel à la timbale (comme un retour aux premières mesures de l’œuvre) construisent un intermède étonnant qui renouvelle le propos. Puis vient « l’atterrissage », le retour sans heurt vers Beethoven.
Dans le Larghetto, le soliste tisse une atmosphère de rêve. Il phrase avec art et tendresse les motifs oniriques imaginés par Beethoven tout en leur donnant du corps. Il culmine sur des aigus d’une incroyable finesse, d’une douce chaleur. Lorsque vient la transition avec le Rondo final, le soliste ménage une pirouette musicale qui annonce l’énoncé bondissant du « refrain » aux accents paysans. Comme en un jeu avec l’orchestre, le soliste mène la danse. Jusqu’à l’irruption joyeuse de l’autre cadence concoctée par Schnittke. Outre la timbale, elle associe ici les pupitres de violon. Le Concerto s’achève enfin dans un bonheur sans mélange.
Vadim Gluzman ne peut quitter la scène sans offrir au public enthousiaste une dernière pièce. Il joue alors la fameuse Sarabande en ré mineur de Johann Sebastian Bach. Un instant d’éternité délivré de toute contingence matérielle.
Tugan Sokhiev et son orchestre font de la Symphonie n° 1 en ut mineur de Brahms un véritable brasier. Sans bousculer pour autant les tempi, le chef imprime aux quatre mouvements de la partition un souffle épique qui ne faiblit jamais. La timbale implacable des premières mesures du Poco sostenuto donne le ton général d’un premier mouvement brûlant d’une intensité inextinguible que les cordes soutiennent, entretiennent, avec une belle ardeur. La tendresse qui s’exprime dans l’Andante, en particulier par l’intervention chaleureuse et nostalgique du premier violon de Geneviève Laurenceau, n’élude pas la menace que véhiculent les cordes graves.
Après la halte heureuse du troisième mouvement, le final prend ce soir-là les proportions d’un développement monumental. Tugan Sokhiev en organise la progression avec un soin et une précision d’architecte. La dramaturgie se construit avec une force de conviction irrésistible. L’appel du cor qui mène à la naissance du fameux thème évocateur de la 9ème symphonie de Beethoven, donne la chair de poule. Les bois font des merveilles. Ce motif plein d’espoir est immédiatement énoncé avec toute la vigueur d’une renaissance vers la lumière. Un lyrisme touchant embrase tout l’orchestre dans une progression vers une coda irrésistible.
Avec sa suite d’orchestre extraite du ballet Le Prince de bois, Béla Bartók poursuit sa réflexion autour de l’incommunicabilité entre hommes et femmes, entamée avec Le Château de Barbe-Bleue. Ce thème verra son aboutissement tragique avec la pantomime Le Mandarin merveilleux, sa troisième et dernière partition pour la scène. L’opulente richesse de l’orchestration de ce Prince de bois est ici admirablement traduite. Tugan Sokhiev construit avec art le grand et progressif crescendo initial. Une large respiration s’y déploie dans une vibration et une émotion croissantes. Les couleurs qui émanent de chaque pupitre évoquent par instants celles du Château de Barbe-Bleue. Les contrastes expressifs animent cette musique complexe, virtuose, rutilante, admirablement exécutée par un orchestre qui s’investit totalement. Le long silence qui suit le decrescendo final traduit bien l’impact de cette œuvre magique longuement acclamée par un public enthousiaste.
Voici une première réalisation qui devrait en appeler d’autres !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre National du Capitole
Aïda – Association des mécènes de l’Orchestre National du Capitole
Vadim Gluzman © Marco Borggreve