Pour Philippe Guionie, « Guillaume Herbaut ne cesse d’interroger le monde ». La galerie Barrès Rivet expose « Lilith en filigrane » une présentation transversale du travail du photoreporter Guillaume Herbaut, jusqu’au 7 octobre prochain. Membre fondateur du collectif de photographes L’Oeil Public et primé à de nombreuses reprises notamment pour ses travaux en Ukraine, Guillaume Herbaut raconte des histoires qui parlent de la société. Il revendique une photographie engagée qui témoigne de sujets et de situations qui le révoltent. Le photographe navigue ainsi entre photographie de presse et photographie documentaire.
Simferopol, Crimée, avril 2008, Maria, cheftaine des pionniers du parti communiste de Crimée dans les bureaux du parti
Depuis une vingtaine d’années, Guillaume Herbaut explore des thèmes comme la révolution orange en Ukraine, les tensions intercommunautaires en Crimée, les meurtres et disparitions à Ciudad Juarez au Mexique, les contaminés de Tchernobyl ou plus récemment la crise ukrainienne. Il a d’ailleurs remporté le prix du web-journalisme lors du trophée Bayeux – Calvados des correspondants de guerre avec Paul Ouazan, avec le reportage intitulé « Ukraine : carnet de route d’un photographe » en 2016. Lors de ce reportage dans la région du Donbass, Guillaume Herbaut a traversé la ligne de front qui sépare l’est de Ukraine des nouveaux Etats autoproclamés, les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
À l’occasion de cette exposition, Philippe Guionie, son commissaire a répondu à quelques unes de nos questions.
Pourquoi ce prénom chargé de symbolique a-t-il été choisi pour désigner tous ces portraits de femmes ?
Présenté pour la première fois à Toulouse, «Lilith en filigrane» est un voyage inédit et transversal dans l’oeuvre de Guillaume Herbaut à travers la figure mythique et emblématique de Lilith, vue comme le hors-champ du couple Adam et Eve, et au-delà le prisme de la femme, ses figures multiformes, ses représentations incarnées ou suggérées, ses paysages subis ou traversées. Tout l’enjeu de cette exposition était de mettre en perspective cette figure mythique de Lilith et de voir où et comment elle s’inscrivait en creux dans les photographies de Guillaume Herbaut. Cette femme nourrie de la guerre et des haines selon la mythologie antique, apparaît ici comme à la fois victimes et actrices du champ contemporain de l’Histoire ukrainienne.
« Lilith en filigrane » rassemble plusieurs projets de Guillaume Herbaut : autour de la centrale de Tchernobyl ou près de la ligne de front à l’Est de l’Ukraine. Comment cette exposition a-t-elle donc été conçue ?
L’exposition présente une sélection de photographies réalisées en Ukraine autour de trois séquences distinctes : la révolution de Maïdan à Kiev, la guerre dans le Donbass et Tchernobyl avec en filigrane, la figure plus ou moins visible de Lilith, comme prisme d’une présence féminine consciente ou inconsciente. En terme de sémiologie, j’ai choisi d’alterner frontalité et hors champ afin de créer une musicalité nouvelle entre points de tensions et poétique de la couleur, qu’elle soit vive ou quasi monochrome.
Selon vous, qu’est-ce qui est caractéristique de la photographie de Guillaume Herbaut ?
Guillaume Herbaut ne cesse d’interroger le monde dans ses vicissitudes nous en proposant à la fois un regard frontal et distancié, interrogatif et incisif. Il nous propose ce que j’appelle « une distance juste » donnant à voir des lieux et des évènements avec toujours ce souci de l’à-côté, du hors-champ, dessinant les contours d’un voyage temporel bien singulier. Ses photographies sont riches de détails aptes à dépeindre un contexte, une atmosphère. Des scènes anecdotiques prennent un sens iconique dans son regard. En tant qu’historien de formation, je suis particulièrement sensible à cette théâtralité poétique de l’Histoire. Guillaume Herbaut crée un corpus où chaque photographie est à la fois un témoignage et un document à part entière sur les mutations du monde contemporain. Et ce témoignage n’est jamais une simple traduction du réel, il dépasse cet aspect du document.
Selon vous, peut-on conjuguer information et création artistique ou bien sont-elles deux notions complètement indépendantes ?
Il n’est pas facile de situer la production photographique de Guillaume Herbaut ou du moins de la circonscrire à une pratique de la photographie stricto sensu. Elle a beaucoup évolué au fil des années, passant du photojournaliste à une photographie documentaire plus distanciée, plus réfléchie donnant une large place à l’invisible. Il nous donne à voir, à savoir et in fine à prendre conscience de situations géopolitiques complexes, de contextes sociétaux intenses. C’est ainsi qu’il conçoit son rôle de photojournaliste et d’auteur documentaire : montrer les indices des événements pour mieux restituer l’Histoire associant subtilement enquête photographique et quête personnelle. En tant que commissaire, conjuguer dans une même exposition, information et création artistique, me semble porteur de sens, tout l’enjeu étant de proposer un nouveau dialogue entre les images, à l’opposé par exemple de la narration induite par une publication de type magazine. La scénographie est pensée pour créer les conditions d’une réflexion chez le visiteur entre d’une part, la nature et la véracité de l’information et d’autre part, le statut même de l’image et du document.
Pourriez-vous nous dire quelques mots de la photographie « Simferopol, Crimée, avril 2008, Maria, cheftaine des pionniers du parti communiste de Crimée dans les bureaux du parti » qui illustre l’exposition ?
Guillaume Herbaut a réalisé cette photographie en 2008. Il était parti en Crimée afin d’étudier de plus près la communauté russe à un moment où une partie croissante de la population exprimait son désir d’un rattachement à la Russie. C’est à cette occasion qu’il a rencontré de jeunes pionniers communistes de Simferopol dont Maria.
Propos recueillis par Marjorie Lafon
Guillaume Herbaut – Lilith en filigrane
Exposition du 7 septembre au 7 octobre
contact@galeriebarresrivet.com
1 place Saintes Scarbes – 31 000 Toulouse