À Blagnac, Yves Beaunesne présente à Odyssud sa mise en scène de « l’Annonce faite à Marie », de Paul Claudel, mise en musique par Camille Rocailleux et interprétée par Judith Chemla et Jean-Claude Drouot.
« L’Annonce faite à Marie » est la première pièce – et peut-être sa plus marquante – de Paul Claudel. Comme le rappelle le metteur en scène Yves Beaunesne, «Claudel est un de ces cavaliers qui firent, dès le début du XXe siècle, le grand écart sur les côtés de l’échiquier littéraire. Immense voyageur, c’est un écrivain qui est sorti toute sa vie de sa chambre. Il y a chez lui comme une navigation sur une mer démontée. Il a inventé une langue capable de tenir le passé, le présent et le futur ensemble, il a redonné à la langue française des dérapages, du brut, de l’horizon lointain. Sa parole est la chair et le sang donnés aux tigres. Première pièce de Claudel à être jouée, elle a été amorcée dès 1892 sous le titre « la Jeune fille Violaine », puis remaniée en 1911 pour donner « l’Annonce faite à Marie »».
Claudel la voyait comme un «opéra de paroles», c’est donc naturellement qu’Yves Beaunesne a décidé de mettre sur les mots du poète la musique de Camille Rocailleux. Le compositeur a conçu «un requiem des temps modernes : les comédiens rentrent dans son univers avec un amour fou. Camille a cette capacité à rendre l’indicible proche de nous et de permettre ainsi ce dont chacun a envie : croire au miracle !», assure le metteur en scène (1). Deux violoncelles sont sur le plateau face aux voix des acteurs, parmi lesquels le frondeur Jean-Claude Drouot et la sublime Judith Chemla. «Ses mots, c’est plus grand que la terre, comme s’ils étaient liés à la matière du monde, à la transformation profonde des choses, ça vous déchire les entrailles», déclare la comédienne.(2)
Selon Yves Beaunesne, «au départ, il y a comme un drame domestique autour de la rivalité de deux sœurs : le père soutient Violaine, l’aînée, la mère, Mara, la cadette, qui prend à l’aînée son fiancé. Mais il se passe que Violaine, malgré la déchéance survenue après un baiser donné à un lépreux, prête assistance à sa sœur, et c’est là que tout commence. « L’Annonce faite à Marie » est une pastorale au tragique titubant, un mystère au comique cruel, un drame obscurément bucolique, une épopée au Moyen-Âge truandé. Poème inspiré par l’enfance orageuse de l’auteur, germé dans la glaise et la tourbe de son Tardenois natal, écrit avec ses tourments charnels autant que mystiques, « l’Annonce faite à Marie » est le “drame de la possession d’une âme par le surnaturel”. Claudel n’est jamais franchement dans l’orthodoxie religieuse, son catholicisme est beaucoup plus imbibé de rhum qu’on ne le pense, il y a chez lui quelque chose d’hérétique dans le dialogue de la chair et de la tentation. Et au-delà de la tragédie familiale, il y a, comme dans la tradition hébraïque, le sens caché : Claudel a cherché l’irruption du divin dans l’humain et il l’a trouvée dans l’ébriété divine de Violaine, touchée par la passion du Christ.»
Pour le metteur en scène, «Claudel n’est pas un défenseur du “théâtre des symptômes”, un théâtre du constat qui fait état surtout de la seule misère humaine, qui reproduit la violence sans un vrai détournement créatif, qui se contente de faire résonner ses doutes sans porter en lui une forme de reconstruction, de résilience. Sans vouloir additionner les raisons ou les non-raisons d’avoir confiance, il pose la confiance comme un postulat : la peur ne doit pas mener les artistes. Les situations sans solution sont résolues par les fous, les enfants et les amoureux comme Claudel», écrit Yves Beaunesne.
Jérôme Gac
une chronique du mensuel Intramuros
(1) La Terrasse, 24/02/2014
(2) Libération, 17/06/2013
Mardi 15 mars, 20h30, à Odyssud, 4, avenue du Parc, Blagnac. Tél. : 05 61 71 75 10.
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photo: « L’Annonce faite à Marie » © Guy Delahaye