La scène se déroule un matin à neuf heures à François Verdier, au croisement du monument au mort et de la rue de Metz. Les autos pullulent et tentent de se frayer un chemin vers le monde du travail pendant que les chômeurs à pied vont en chercher un. Au bout de la place Dupuy, la Caisse d’Épargne et la pharmacie se font face. Entre les deux, dix mètres de passage piétons. Un croisement difficile pour les automobiles et anxiogène pour les passants qui doivent souvent céder le passage même dans leur bon droit. Mais une catégorie d’usager nommés cyclistes n’est nullement préoccupé par cela : il est en effet pratique courante pour les deux roues de ne jamais respecter le feu rouge, comme s’ils cherchaient à rattraper les taxis parisiens dans la hiérarchie des connards.
Une pratique répandue dont il est impossible de définir les origines : qui fut le premier à griller un rouge ? Cela remonte probablement a l’antiquité lorsqu’une diligence n’a pas dû marquer l’arrêt face à un pont-levis. Le code de la route et son article R-412-30 sont pourtant clairs : un cycliste est un conducteur et griller un feu rouge est passible de 135 euros d’amende. Entre la banque et la pharmacie, les piétons traversent avec quiétude lorsque soudain, venant de nulle part, surgit un vélo noir ne prenant pas la peine de s’arrêter. C’est tout juste s’il manque de renverser une personne âgée trop peu rapide pour l’éviter. Les spectateurs sont blêmes, tous s’attend à des excuses du deux roues mais celui-ci n’en démord pas et accuse le septuagénaire. Les noms d’oiseaux commencent à fuser : « Voyou, filou, malotru » enchaine le sénior. « Connard, je suis cycliste » répondit l’homme sans casque comme s’il avait du sang royal dans son bicycle.
Faisant sa ronde du matin, le brigadier Michel assiste au début de la scène avant d’intervenir. Ça fait peu de temps qu’il officie dans le quartier. Avant il était responsable de secteur au Mirail. Un feu rouge grillé est une partie de plaisir pour lui comparé a ce qu’il a vécu. Il raconte souvent à ses collègues qu’un jour il a arrêté un lance-roquettes à une main (mais il ment). L’assistance médusée attend son verdict avec impatience : va t-il sanctionner ce cycliste sans foi ni loi ? Le suspens est comparable à la finale de Star Académy 4. Mais finalement non. L’homme au képi se fend d’un « Circulez messieurs, il n’y a pas mort d’homme. L’individu motorisé a bel et bien grillé le feu rouge mais être un connard n’est pas un délit ».
Ce jour-là ne marquât pas un tournant dans la vie des Toulousains. Ils continuèrent à dire « Boudu », à faire la queue à l’Entrecôte et les cyclistes ne respectèrent toujours pas ce putain de feu rouge.