La neuvième édition de Motor, le festival du film roumain de Toulouse commence ce soir pour se terminer le mardi 21 novembre. Cet événement met en avant le cinéma roumain, sans compétition, avec simplement l’envie de le présenter au public toulousain. Selon moi, il s’agit du meilleur cinéma européen présenté en festival sur Toulouse. Pour l’occasion, je donne la parole à Mihaela et Fred, les deux personnes que vous voyez présenter les séances et animer les débats.
Comment est né ce festival ?
Fred : Comme souvent, c’est une histoire de rencontres. Celle d’une professeure de roumain à l’université du Mirail et d’une directrice de salle d’Art et d’Essai, Buny Gallorini, à l’ABC, déjà bien impliquée dans la promotion d’autres cinémas d’auteurs européens. Toutes deux ont initié un premier rendez-vous en 2008, c’est-à-dire au moment où le cinéma roumain commençait à squatter les récompenses dans les festivals les plus prestigieux, et notamment à Cannes. C’est donc, il est important de le préciser, depuis le départ, le cinéma roumain contemporain qui nous intéresse même si nous avons plusieurs fois songé à programmer des grands classiques de Lucian Pintilie, par exemple.
Comment a évolué le festival depuis sa première édition ?
Mihaela : En 2011, un petit groupe de volontaires est venu prêter main forte et en 2013 – 2014, l’association franco-roumaine de Toulouse (AFRT) a porté officiellement l’organisation du festival. En 2015, forte de l’expérience acquise, de l’envie aussi de porter un projet autonome et peut-être plus lisible, une nouvelle association s’est créée prenant le nom de Motor ! Finalement, impulser un rendez-vous autour du cinéma roumain d’aujourd’hui n’était pas le plus difficile. La question que l’on pouvait se poser à ce moment-là, était de savoir si cela allait durer. Tant en termes de qualité, que de quantité. Car si la génération des lauréats avait pour elle la jeunesse, entre 30 et 40 ans, les moyens de production eux se faisaient rares. Encore maintenant, même s’il y a sans doute un léger mieux.
Fred : Le plus cruel sans doute dans tout ça, c’est la réalité de l’offre de diffusion en Roumanie, avec un réseau de salles dévasté, comme l’a bien montré Alexandru Belc dans son documentaire diffusé l’an dernier, Cinéma mon amour. Dans ce contexte assez peu excitant, ces cinéastes ont insisté et poursuivi leur travail exigeant de création. Et ils ont eu raison. Non seulement, ils ont continué à remporter des récompenses dans les grands festivals comme San Sebastian, Berlin, Toronto, mais leurs films sont de mieux en mieux repérés, diffusés et plébiscités par un public dont la cinéphilie, nous le constatons à Toulouse également, grandit et s’enrichit au fil des éditions. Nous avons un public de fidèles, mais également des nouveaux spectateurs qui, chaque année, nous font part de leur plaisir de découvrir ces écritures tendues, exigeantes, aiguisées. Certains films roumains, je pense à Mère et fils, de Calin Peter Netzer, Aurora et Sieranevada, de Cristi Puiu, Papa vient dimanche, de Radu Jude, ou la scène finale dans Policier, adjectif, de Porumboiu… sont éprouvants au sens d’épreuve, du choc cinématographique qu’ils provoquent. Cela peut dérouter certains spectateurs, mais généralement, cette déroute les ramène quand même devant le grand écran, et ça nous réjouit. L’important, c’est aussi de pouvoir échanger dans ce face à face rare avec un réalisateur, un acteur ou un critique. Nous tenons vraiment à ces temps de rencontres et nous réjouissons d’avoir pu accueillir les critiques Leo Serban, Magda Mihailescu, Dan Burlac, les réalisateurs Radu Muntean, Florin Piersic Jr, Cornel Gheorghita, Nicolas Hans Martin, Ionuţ Teianu, les comédiens Constantin Florescu, Ion Stoica, Alin State, la violoniste Clara Cernat…
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Mihaela : Le crédo du festival a toujours été de s’intéresser à l’actualité du cinéma roumain. D’abord, elle n’est pas toujours évidente à appréhender. Il n’est pas toujours facile d’avoir accès aux films sous-titrés. Les quelques personnes fortement impliquées dans l’organisation de l’événement sont « jumi-juma » (moitié-moitié en roumain) des Français et des Roumains, mais nous ne maîtrisons pas tous suffisamment le roumain pour nous passer des sous-titres. Et si un film nous botte, mais qu’il n’est pas encore diffusé en France (c’est encore assez souvent le cas pour des réalisateurs qui ne sont pas encore sous le radar des grands festivals), il faut arriver à le sous-titrer. Nous sommes parfois amenés à cofinancer ce travail pour bénéficier des films, et c’est un coût supplémentaire que nous pouvons parfois nous permettre, d’autres fois non. On ne va pas vous mentir, le festival est monté de manière entièrement bénévole. C’est donc à la fois compliqué de conjuguer travail, vie de famille et passion cinéphile, et c’est aussi très souvent compliqué de trouver le budget suffisant pour offrir au public de la métropole toulousaine la dizaine de films que nous souhaitons partager. Chaque année, nous nous reposons la même question : va-t-on y arriver ? Notre économie est dérisoire et nous souhaiterions vraiment pouvoir faire les choses de manière plus professionnelle. Pour cela, il faudrait convaincre nos partenaires de nous accompagner durablement.
Fred : Nous sommes très heureux de l’accueil que nous a toujours réservé le cinéma Abc qui est véritablement coproducteur de l’événement. Avec les salles comme le Cratère, le Central à Colomiers ou Véo à Muret, l’offre de diffusion s’élargit. Cela permet de multiplier les rencontres, de se nourrir mutuellement des regards que portent les uns ou les autres sur tel ou tel aspect de la cinématographie roumaine. Bref, on apprend ensemble et on met en commun. Cependant, cette année, c’est la relation avec l’Institut Culturel Roumain, pourtant partenaire de la première heure, qui a été la vraie difficulté. La situation est des plus confuses : nous avons appris le retrait pur et simple du financement à seulement dix jours de l’ouverture. C’est une perte sèche qui compromet durablement l’avenir de cet événement. Nous attendons des explications, comme l’ensemble de nos partenaires publics, car c’est assez incompréhensible.
Un mot sur cette nouvelle édition ?
Mihaela : Cette 9ème édition reprend les grands principes de programmation qui sont les nôtres. Parmi les toujours jeunes réalisateurs avec lesquels nous aimons cheminer, on retrouvera Calin Peter Netzer, qui devient un habitué des récompenses à la Berlinale, mais aussi Corneliu Porumboiu avec Le Trésor qui sera projeté à Muret. Nous accueillerons également le dernier film de Cornel Gheorghita avec Serge Riaboukine, et celui de Catalin Mitulescu, tout deux programmés il y a déjà plusieurs années.
Fred : Deux réalisatrices, fait encore trop rare, sont particulièrement attendues : Anca Miruna Lazarescu avec un premier film qui fera l’ouverture du festival, et le deuxième long-métrage de Iulia Rugina, qui passe de la comédie au drame avec un film axé sur le milieu journalistique. Cette thématique sera d’ailleurs également abordée par le déjà très remarqué Fixeur d’Adrian Sitaru, lui aussi déjà programmé l’an dernier avec le sulfureux Illégitime. Plus de comédies cette année, une fois n’est pas coutume, avec des réalisateurs moins remarqués sur les scènes européennes, mais qui ont remporté de grands succès populaires en Roumanie : Deux billets de loterie et Paul Negoescu et 6,9 sur l’échelle de Richter de Nae Caranfil. On pleurera peut-être de rire cette année !
De quoi êtes-vous le plus fier ?
Fred : Pour toutes les personnes qui œuvrent à cet événement, c’est de constater que nous sommes de plus en plus nombreux à apprécier ce cinéma qui sait continuer de nous surprendre et de penser, de manière très immodeste, que nous y contribuons peut-être un peu…
Mihaela : Et ce, malgré la faiblesse de nos moyens et une situation des plus fragiles qui ne saurait perdurer.