Après Robert Plankett et un Didon et Enée de Purcell passablement déjanté, rebaptisé Le Crocodile trompeur, Jeanne Candel et son Collectif la Vie Brève sont de retour au Théâtre Garonne, leur résidence et associé, pour la création toulousaine de leur dernière loufoquerie : Le Goût du faux et autres chansons. Encore un titre qui laisse pensif et interrogateur ! A partir du 4 février.
Comme les précédents, l’ensemble est dirigé et mis en scène par Jeanne Candel, l’œuvre étant une création collective. Jeanne Candel, une metteuse en scène qui n’est pas la moins douée, dans toute cette constellation de la « nouvelle vague » scénique française et que le Festival d’automne, excusez du peu, a choisi de mettre en avant cette année. Un peu de chauvinisme ! de bon ton, car on se plaît à relever dans ce Collectif, plusieurs noms d’artistes ayant “sévi“, mais positivement, dans les écoles toulousaines !!
Au fait, pourquoi Collectif ?
« Le mot collectif définit avant tout notre manière de travailler au plateau : les acteurs sont sollicités très activement, ils créent énormément de matière que je monte, bidouille, réécris, un peu comme les danseurs qui produisent des matériaux d’après les stimulations du chorégraphe, qui s’en emparent pour construire l’objet global. Tout le monde est donc très actif selon sa personnalité et sa spécificité : certains acteurs sont, par exemple, particulièrement doués en improvisation, d’autres ont un don à l’écriture, d’autres sont de grands interprètes, d’autres encore regardent et écoutent, ils sont peut-être plus en retrait. Il n’y a pas un acteur-type mais des rencontres entre différents tempéraments que je provoque. » J. Candel
A propos du rôle des arts plastiques et notamment de la peinture dans son travail et sa conception du théâtre?
J. C. : « Cela me passionne ! Je suis obsédée par le détail et la miniature, et très sensible à la peinture classique, à la composition. L’idée du cadre, du focus au théâtre m’excite beaucoup. Comment orienter le regard du spectateur sur une chose minuscule avec les outils du théâtre ? Comment faire un gros plan au théâtre ?… Et là encore il s’agit de mon propre goût. »
Vous ne saurez rien sur le spectacle, à l’avance. De toutes les façons, c’est irracontable et ce serait mettre à mal toute l’excitation de la découverte. Simplement, si vous avez décidé de trouver une explication à chaque moment ou simplement instant, il vaut mieux rester devant Super Nanny ou Top chef. Esprit rationnel, s’abstenir. Adepte de l’humour à la Bigard, aussi. Mais, on ne vous dit pas de laisser le cerveau au vestiaire. Il faut savoir se laisser guider, emporter, faire table rase. A leur manière, écrivains-acteurs-musiciens – douze au total – vont vous titiller et vous faire vous interroger sur l’authentique et le paraître, sur le vrai, le vrai du faux, le faux du vrai……C’est une forme de convocation à une séquence surréaliste, mais inutile de faire appel à Freud et Jung, la petite troupe a quand même aussi les pieds sur terre, et ne chausse pas toujours des skis.
Il peut être intéressant cependant de se glisser dans ce qui fut à l’origine du projet, et de surprendre Jeanne Candel dans ses quelques propos : « En fait, jusqu’ici, les expériences théâtrales que j’ai menées avec ma bande se sont fabriquées en partant de nos vies, de nos expériences les plus personnelles, les plus anodines, de nos lectures. C’est à partir de ce que nous étions que nous construisions les fictions. En travaillant sur Didon et Enée, je me suis aperçue que je pouvais utiliser des structures archaïques plus puissantes, déjà riches d’histoires et de paradoxes pour atteindre nos vies. C’était comme d’inverser le processus. »
Mais encore, sur un mythe que l’on retrouve comme fil rouge : « Oui, je suis obsédée par une question très naïve mais dont j’assume la naïveté : d’où vient-on ? C’est une question simple mais la réponse ne l’est pas. Je savais qu’elle ouvrirait des vertiges, des abîmes. C’est une question très excitante, celle de l’origine, et qui nous écrase un peu ; on est face à elle comme des animaux, parfois très heureux, très agités, et parfois enclins à se réfugier dans les recoins. »
Petite incartade encore sur ce nouveau spectacle qui n’a rien à envier au précédent du moins dans l’esprit de sa mise en construction. « Le Goût du faux et autres chansons, est porté par Jeanne Candel et inventé sur la base d’improvisations avec douze acteurs-musiciens. Le spectacle est scindé en deux pièces distinctes, complémentaires et construites en miroir. Le mythe, le superbe, le trivial s’y fragmentent en une myriades de saynètes, construites sur la base de rêveries autour du peintre Botticelli et de l’écrivain Borgès, articulées aux Métamorphoses d’Ovide, elles-mêmes conjuguées à des bribes de textes scientifiques sur la formation de l’univers. Soient les composantes d’un cadavre exquis farfelu et illimité, qui tente de reposer, par associations d’images et ricochets d’idées, l’insoluble question de l’origine du monde. »
Enfin, un autre élément qui peut vous, nous éclairer sur la démarche créative du Collectif, au sujet du nombre conséquent d’acteurs, douze : « J’ai toujours travaillé avec de grandes bandes, parce que je trouve que cela donne une forte énergie, une émulation. Dans les répétitions, je le vois bien : il y a un relai, un rebond qui se met en place, qui est très riche, fertile, jubilatoire. C’est aussi une façon de faire l’épreuve de la pluralité, notamment la pluralité des perceptions, des pensées. Au fond, ce que je souhaite le plus sur un plateau c’est représenter l’expérience humaine dans toute sa richesse, son invention, sa vivacité. C’est aussi pour cela que, dans la bande, il y a des acteurs- musiciens, un clarinettiste, un violoncelliste, une pianiste et que l’un d’entre nous (Florent Hubert) écrit de la musique pour le spectacle. C’est important que la musique vienne nourrir et déplier la représentation…… »
Vous en savez assez pour, maintenant, aller vous plonger dans cette création dont la démarche correspond bien à ce que l’on appelle du spectacle vivant, à 100%.
Michel Grialou